À quoi ressemblerait une démocratie telle qu’on la rêve ?

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Ceci pour retracer les impressions du lecteur et consommateur d’information lointaine :

La parution du livre de la rabbine Delphine Horvilleur, « Vivre avec nos morts: Petit traité de consolation » (Edition Grasset, 2021), fait écho chez moi – et dans le fil d’actualité – à la politisation médiatisée des décès individuels, drames apparemment indissociable d’une crise sociale ou d’un soulèvement, comme aux États-Unis ou en Birmanie actuellement. Le message que l’auteure adresse – comment donner du sens à la perte d’un être cher ? – me rappelle de fait que chaque décès prend un sens différent selon le contexte. Certes évidente à première vue, cette formulation permet de rapprocher la mort de la définition du symbole telle qu’utilisée en anthropologie culturelle post-moderne (dont Clifford Geertz demeure un représentant de choix), à la fois comme une chose qui en désigne une autre à un moment et à un lieu donné, et comme un mouvement de re-signifcation de l’événement naturel dans la sphère culturelle.

On peut dresser un pont entre ce mouvement de symbolisation théorisé par la discipline anthropologique et la montée des violences létales à laquelle on assiste, à distance, dans plusieurs villes de Birmanie actuellement. En isolant – sans doute de manière artificielle – cette contingence de l’enchaînement militaire et politique (coup d’État de la junte militaire, accusations et détention d’Aung San Suu Kyi, couvre-feu, chasses nocturnes et arrestations) on dénombre aujourd’hui plus de 700 décès, qui nous éloignent toujours davantage, nous témoins à distance, de l’émoi suscité par la première victime. A mon sens, il vaut surtout veiller de notre côté à ne pas franchir le seuil de la seule quantification et de l’insensibilité en lisant que les décès se succèdent. Une part de nous, privilégiés dont les démocraties desquelles ils s’inspirent, sont meurtries avec eux ; une autre tente, de la même manière que le préconiserait Delphine Horvilleur dans le deuil, de saisir le sens, le souffle dernier de ces disparitions.

Dans cette transition démographique que vit la jeune population birmane, qui rêve de l’affirmation et de l’égalité des identités individuelles, de liberté d’expression et particulièrement du libre choix de leurs dirigeants, celles et ceux qui se tiennent en porte-parole devant les militaires ne le font qu’au prix d’un risque létal, qu’ils encourent avec une résolution et un courage toujours admirable, et qui doit malheureusement conduire dans certains cas à expirer un dernier souffle de contestation (quand il ne s’agit pas de victimes collatérales). Mais ces défunts lèguent l’image, cristallisée dans une atmosphère de résistance, de leur rage de vivre, que la violence militaire ne peut pas passer sous silence, même sous les balles.

Ces batailles pour la démocratie loin de chez nous me font songer par retournement du regard aux luttes qui se poursuivent face aux inégalités et transgressions de ces principes si durement acquis par le passé. La projection mentale d’une utopie entraîne toujours sa foison de questions :

  • Quand la démocratie serait seule souveraine, comment se déclinerait dans le monde social la mise en lumière de tant de revendications, de droits et d’identités ?
  • Serons-nous capables de voir clair dans l’individualisation des combats identitaires ?
  • Se reformeront à partir de celles-ci de nouvelles identités et normes sociales, qui prévalent naturellement dans la convergence des opinions et façons d’être avec le monde ?
  • Ceci jusqu’à redonner crédit, pertinence et transparence au principe de représentation ?

Cela m’évoque l’instance culturelle complexe et polymorphe du Kaafolo chez les Sénoufo Nafara, tel que présentée par l’ethnologue, psychologue et linguiste africaniste Andras Zempleni. Je retire et simplifie pour ma compréhension trois essences du Kaafolo : à la fois le rôle d’agent politique de chacun, l’intérêt (d’un) collectif et l’idéologie de mise dans l’institution législative. Le Kaafolo réunit à lui seul ces trois points de vue sur le monde, et vise un consensus entre eux. Moi qui trouve tellement ardu de composer avec toutes les facettes qui impliquent d’être avec le monde aujourd’hui ! J’essaie de seulement être admiratif de tels produits culturels, tout en gardant en tête qu’ils sont loin d’être applicables dans nos sociétés – même s’ils relativisent les constructions institutionnelles !

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